Trail blanc

Trail blanc

16 janvier 2021 0 Par Olivier Métérie

C’était il y a quelques jours seulement et pourtant cela semble si loin déjà. Nous sommes toujours en hiver mais cette parenthèse enneigée n’aura duré que quelques heures. Je suis toujours en préparation de mon objectif : franchir le cap des 100 kilomètres. Quand vais-je le faire ? Bien difficile à dire… La période est couverte d’incertitudes entre ce fichu virus qui nous impose son lot de contraintes et des changements professionnels qui me prennent beaucoup d’influx nerveux…

Ce matin du samedi 16 janvier j’avais décidé de partir pour une rando course. Une petite quarantaine de kilomètres, distance que je n’ai pas parcourue depuis plus d’un an, pour tester le matériel, le mental et bien sûr l’endurance. La veille, je modifie mon parcours. La neige est annoncée, je n’ai pas envie de galérer en voiture, surtout pour revenir si je suis fatigué. Je partirai donc directement de chez moi, ce qui ajoute quelques kilomètres malgré les adaptations de tracé. Ce n’est pas bien grave. Je sens aussi que je ne vais pas partir à 7h15 pour courir de nuit. Je suis rentré tard du travail, le temps de refaire la trace et de préparer mes affaires, minuit est déjà largement passé.

Je me lève donc peu avant neuf heures après moins de sept heures de sommeil. Le ciel est chargé, peu de doute sur le fait que la neige arrive. Après un petit déjeuner, pas plus copieux que d’habitude, je fais le plein d’eau et boucle mon sac. Il est dix heures, les premiers flocons atterrissent en se balançant doucement. La montre est enclenchée, je ne la regarderai plus avant de rentrer. Pas de pression, pas de vitesse à tenir. Je pense quand même partir pour environ six ou sept heures mais je vais marcher. Je ne compte pas forcer pour respecter une allure. Mon but est de parcourir la distance et si possible de rentrer « frais ».

Je longe les bords de Seine de Poissy. La rive commence à blanchir. Ces premiers kilomètres à plat, permettent de s’échauffer. Les départs trop abrupts par temps froid m’occasionnent des tiraillements au niveau des tendons d’achille puis des crampes à la voûte plantaire qui ont parfois du mal à passer. J’arrive dans Villennes-sur-Seine pour les premières montées. Je consulte une première fois la carte pour être sûr de rester sur le parcours. J’ai prévu au maximum de rester sur des sentiers balisés afin de ne pas perdre trop de temps à chercher la trace sur la carte numérique de mon téléphone. Ce sera d’autant plus important aujourd’hui car sortir son téléphone quand il neige, ce n’est pas pratique. Au début je conserve mes gants fins qui me permettent de manipuler le téléphone. Mais après dix kilomètres ils seront bien trop humides et je me féliciterai d’avoir pris au dernier moment une paire de gants plus épaisse. Mais qui nécessite de les retirer pour manipuler le téléphone. Et l’écran tactile n’est pas à son avantage quand il réagit aux flocons qui se dépose dessus, pour faire déplacer la carte vingt kilomètres plus loin… Pour couronner le tout, la batterie du téléphone n’aimant pas le froid, il vaut mieux économiser les sorties du sac. Après vingt kilomètres, je serai déjà obligé de charger le téléphone puisqu’il aura décidé de s’éteindre. L’Iphone n’est pas l’ami du trailer.

Je suis maintenant sur le GR26 sur les hauteurs de Villennes. J’emprunte des routes et des chemins que je n’avais pas vu depuis un moment. D’ailleurs plus ça va, moins je vois le sol. Je passe sous l’A13 en direction de Morainvilliers. Je mange ma première barre. Je n’ai pas faim mais il faut anticiper. Le plateau est tout blanc. Au fur et à mesure que je monte, j’ai régulièrement un vent de face qui me renvoie la neige au visage. Je suis bien couvert mais là il fait froid ! Jusqu’ici j’ai compté les kilomètres, ce qui n’est pas une bonne idée quand on part plusieurs heures. Ca veut dire que le moral n’est pas au top. Les conditions météo me font penser à une journée compliquée et que je raccourcirai peut-être.

Heureusement, ça ne durera pas. Pas la neige. Elle tombe toujours à gros flocons. Mais mon état d’esprit change. J’ai de la chance ! J’ai décidé de faire une belle balade aujourd’hui et il neige ! Je vais passer toute la journée dehors à courir dans la poudreuse. Le ciel m’offre un trail blanc. Elle est pas belle la vie ? Clairement c’était ce à quoi j’étais en train de penser en courant dans cette forêt. C’est pour ça que je le fais, que je suis là. Pour vivre ces moments qui nous sortent du quotidien.

Je suis passé une fois (presque deux si je compte la reconnaissance) sur ces sentiers de la forêt des Alluets lors du Trail du Vieux Lavoir. C’était mon deuxième trail en 2016. Ça fait plus de cinq ans que je cours régulièrement maintenant. C’est un bel accomplissement. Le temps passe vite. Quarante cinq minutes depuis la barre mais il ne faut pas attendre pour la suite. J’absorbe la compote et poursuit mon chemin. Courir dans la neige fraîche a du bon. Le terrain est souple et moins traumatisant pour les longues distances. Mais il y a aussi du moins bon. Plus d’une fois, je me ferai avoir par une flaque d’eau cachée sous une fine couche de neige… La plupart du temps je m’en sortirai pas trop mal mais parfois j’aurai le pied trempé. Sur des parties du sentier détrempées des jours précédents, la course en zigzag pour les éviter fait vite monter le cardio, ce qu’il faut éviter aujourd’hui.

Dix sept kilomètres ? Peut-être un peu plus. J’ai perdu le fil des bips de la montre. La neige semble s’estomper. Il est temps de s’arrêter pour manger un mini sandwich. J’en profite pour réorganiser mes poches. Courte accalmie, l’humidité est déjà de retour et je me refroidis vite. Quelques gorgées de boisson isotonique et je repars, sautant de gauche à droite pour rester sur les quelques terres émergées du chemin.

Je quitte la forêt dans une descente qui m’emmène vers un haras. Les chevaux sont couverts mais ils doivent avoir bien froid ! Je sors le téléphone pour voir où aller et mémoriser les directions à prendre ensuite. Je n’avais pas vu l’heure jusqu’à maintenant. Il est 13h15. J’estime que cela devrait me faire une sortie de six heures. D’autant que le peu de dénivelé du jour est presque intégralement franchi. C’est là que la batterie du téléphone a dit stop en passant de 40% à 0. Je vais désormais devoir me balader avec le câble de recharge. Le temps passe toujours aussi vite. Ça doit faire plus d’une heure que j’ai mangé. Je ne dois pas trop attendre. Mais je ne trouve pas le chemin prévu. Il n’existe peut-être plus. Je fais un détour qui me ramène à la route. Ce sera un mauvais choix. Certes ça permet d’avancer mais de se faire éclabousser aussi. Les conducteurs en pensant vouloir bien faire, s’écartent vers le milieu de la route où il y a de la neige et m’envoient tout ! Deux d’entre eux passeront quand même bien trop vite à mon goût. Considérant peut-être que je n’avais rien à faire sur le bas côté de la route de ce temps-là. J’en ai un peu marre alors je fais une pause marche. Non mais laissez-moi manger ma banane !

Je traverse les Alluets-le-roi, le village ressemble à un village de montagne. Je croise quelques jeunes qui s’amusent à faire de la motocross dans les champs recouverts de neige. Aujourd’hui on s’amuse ! Je perds à nouveau le chemin. Cette fois je pense qu’il a disparu sous la neige. Le vent est glacial. J’aimerais pouvoir avancer sans trop consulter mon téléphone. Après une nouvelle partie, heureusement assez courte et en descente sur la route, je retrouve un secteur boisé. J’ai changé de direction pour faire le retour vers Poissy. J’engloutis quelques abricots secs et constate qu’il ne neige plus.

J’approche d’Orgeval et le parcours sera globalement descendant à partir de maintenant. Combien de kilomètres faits ? Je ne sais pas. Depuis le temps, ça doit faire un peu plus de dix sept kilomètres, peut-être même proche des trente (trente trois en réalité). Le temps sec n’aura pas duré bien longtemps. La pluie a remplacé la neige. J’aurai retiré ma capuche à peine cinq minutes. Je retrouve des routes plus familières. Dans une descente vers Orgeval, je manque de glisser alors que je mange une barre. Alors que j’étais dans la poudreuse, il y a moins d’une heure, la neige fond de plus en plus avec l’effet conjugué de la pluie et de la relative mais malgré tout perte d’altitude. Je sens quand même la fatigue. Sur la route vers Béthemont, je cours à une allure régulière mais je commence à sentir mes jambes peser un peu. Je passe cette fois au-dessus de l’A13 et observe les voitures descendre au ralenti. Je contourne le chantier du futur « Training center » du PSG en mangeant mes derniers abricots. J’ai un peu retardé la prise alimentaire alors que je sens que j’en ai besoin. J’arrive bientôt mais il faut quand même manger. Avec le recul, j’aurais ingurgité peu de calories. J’aurai respecté une alimentation régulière mais en petite quantité compte tenu de la température.

Je descends vers Poissy. La neige est bien fondue. C’est triste, c’est la fin. Chaque pas dans ce reliquat de neige équivaut à mettre le pied dans une flaque. Je finirai les pieds détrempés mais au moins j’aurai des chaussures propres ! Un dernier petit tour par la forêt de Saint-Germain et c’est la dernière descente. Rentré au chaud, je regarde ma montre pour la première fois depuis le départ. Quarante six kilomètres parcourus en un peu plus de six heures. Je suis satisfait. Bien sûr je suis un peu fatigué même si je n’ai pas forcé. J’ai respecté le plan. Mais une quarantaine de bornes dans le froid humide, ça use un peu quand même, non ? Je relativise en pensant à des sorties plus courtes les années précédentes où je finissais clairement plus fatigué. Et si j’avais dû continuer encore soixante bornes ? Ça m’aurait semblé long et compliqué. Cela dit, ce n’était pas l’objectif de cette journée. Il faut savoir apprécier le travail accompli. Et cette journée sous la neige restera mémorable !